Qui se ressemble s'assemble ?
Pour le sociologue, sécialiste du couple, Jean-Claude Kaufmann, s’engager dans une relation conjugale, c’est entrer dans un processus de mutation identitaire pour devenir quelqu’un d’autre. Entretien...
Qui se ressemble...
« Qui se ressemble s’assemble », dit l’adage. Faut-il se ressembler pour bien s’entendre et former un couple qui dure ?
Jean-Claude Kaufmann : Ce dicton repose sur une part de bon sens. Un bon sens exploité d’ailleurs par les sites de rencontre qui promettent de trouver l’âme sœur avec des critères soi-disant scientifiques qui reposent, en réalité, sur la ressemblance : même niveau d’études, mêmes convictions religieuses, mêmes centres d’intérêt… Mais les choses sont évidemment plus complexes. Avoir des atomes crochus, partager des goûts musicaux, le goût pour le sport ou la marche peut faciliter la rencontre mais ce n’est pas la ressemblance qui permet de former un couple. Au contraire. Elle empêche d’entrer dans l’aventure amoureuse et conjugale qui consiste à devenir un autre.
La ressemblance rassure…
J.-C. K. : Oui, c’est précisément cette idée qu’alimentent les sites de rencontre. On rêve de construire un couple mais on a peur de perdre la maîtrise de son existence. On voudrait rester complètement soi-même et rajouter l’autre dans sa vie sans qu’il dérange. Or il ne peut y avoir de vie de couple si on ne s’engage pas véritablement. Et s’engager, c’est entrer dans un processus de mutation identitaire pour devenir quelqu’un d’autre. Une reformulation mutuelle qui ne sera pas la même selon le conjoint.
La ressemblance est d’ailleurs illusoire, on ne rencontre jamais son double. Même si l’on est issu du même village, du même milieu social, si on a la même religion, il y aura des millions de différences. Tout l’art du couple réside dans la capacité à jouer de ces différences pour les dépasser et construire une nouvelle entité avec une culture commune. On va, par exemple, critiquer les amis et la famille sur certaines manières de vivre pour se construire sa propre philosophie de vie. Mais aussi mettre en place un jeu de rôles complémentaire. Il y aura par exemple le gardien des risques qui va demander si « les portes sont bien fermées », si « on a pris des assurances ». Il s’agit très souvent des femmes qui portent les angoisses sur leurs épaules. Et l’autre apparaît plutôt comme l’idéologue de la décontraction qui va rappeler que « si on passe son temps à penser aux risques, on ne vit plus ».
Etre différents ?
Il faut donc être différents pour construire un couple. Un autre adage dit d’ailleurs que les contraires s’attirent. Mais trop de différences, n’est-ce pas difficile à gérer ?
J.-C. K. : La construction du couple est un travail quotidien d’unification. On essaye de se mettre d’accord et de construire des règles communes. Chacun fait un petit mouvement vers l’autre. Mais c’est compliqué. On part de nos propres acquis, de nos convictions. Et parfois il y a des blocages. On estime par exemple qu’on doit ranger les chaussons, qu’on ne doit pas faire de bruit à table… Il faut une certaine souplesse pour évoluer, et cette plasticité est décisive.
Les couples qui associent des cultures différentes, par exemple, se séparent plus souvent parce qu’ils ont plus d’obstacles à franchir, y compris des obstacles familiaux, mais ceux qui parviennent à rester ensemble ont fait un travail sur eux-mêmes si important qu’ils construisent un socle très solide.
Propos recueillis par Paula Pinto Gomes - La Croix
Jean-Claude Kaufmann est l'auteur de "Pas envie ce soir, le consentement dans le couple", aux éditions "Les liens qui libèrent", 2020
Article offert par La Croix pour les membres de Theotokos.fr
Pour aller plus loin
- La religion est-elle un obstacle à la relation de couple
- Manuel du couple pour durer en amou par le Père Denis Sonet