Célibataires, ces amours qui s'enlisent
Célibataires – Ces amours qui s’enlisent (partie 1)
Dossier réalisé par famille chrétienne
Nombreux sont les célibataires qui souffrent de ne pouvoir se décider au mariage : blocages, peurs, histoire personnelle difficile les en empêchent. Élisabeth Content, du cabinet Mots Croisés, donne quelques clés pour pouvoir avancer vers la décision.
Aujourd’hui, parmi les célibataires, nombre de relations amoureuses ne débouchent sur aucun lien définitif. Pour quelles raisons ?
À l’occasion d’une rencontre avec des célibataires, animée par notre cabinet, j’ai été frappée par leur souffrance. J’ai découvert que leurs hésitations ne venaient pas tant d’un égoïsme qui les aurait conduits à ne pas se donner, mais bien souvent de blocages rendant impossible toute action. Les causes sont diverses et vont de l’histoire personnelle à des raisons plus générales dues à l’évolution de la société.
En quoi le passé peut-il faire obstacle à un engagement ?
Dans notre histoire familiale, l’image de l’homme et de la femme, celle du mariage, ont pu être blessées en nous. Il est important de regarder quel homme et quelle femme étaient nos parents pour identifier nos blessures, si l’un dominait par rapport à l’autre, s’ils étaient fidèles.
Dans notre histoire personnelle, nous avons pu vivre une relation amoureuse douloureuse, une enfance difficile, qui sont autant de freins pour croire au bonheur et aller vers autrui. L’amour de l’autre me renvoie très vite en miroir le positif mais aussi le négatif de ma personnalité. Il est difficile de me découvrir imparfait. L’autre devient dangereux, car il m’oblige à regarder mes zones d’ombre. Que faire alors de ce passé ?
Peut-on le gérer ?
Il est capital d’identifier ses blessures personnelles, de les accepter, de travailler à les apaiser. Penser que l’amour pourra tout réparer est un leurre, même s’il est une aide importante : il rend confiance mais ne peut pas tout. Chacun est responsable de ce qu’il fait de son histoire. Sinon, on risque d’imputer à l’autre des difficultés que la relation met au grand jour et qui, en fait, viennent de notre passé.
Quels sont les blocages que vous retrouvez fréquemment chez ces célibataires ?
Souvent, il y a erreur sur le but de l’amour. Beaucoup considèrent qu’aimer implique de rendre l’autre heureux : c’est se mettre sur les épaules un poids énorme qui fait peur. Le bonheur est un fruit de l’amour, on s’engage à s’aimer, à être compagnons de route, et non pas à se rendre heureux.
Nous constatons surtout une erreur de jugement, assez répandue, sur ce qu’est aimer. J’entends souvent : «Je suis avec quelqu’un, mais je ne l’aime pas». En réalité, ils aiment, mais, face au décalage entre une image idéale et la personne réelle, ils doutent. Pour eux, l’amour doit s’imposer comme une évidence. Or on peut aimer sans passion, sans élan prodigieux.
Qu’est-ce, en fait, que l’amour ?
Au sein même d’un couple, la conception de l’amour est souvent différente, et là réside la complexité de la relation. Nous travaillons beaucoup ce sujet avec les célibataires : qu’est-ce qu’aimer ? Pour une jeune fille vue récemment, aimer, c’était admirer ; elle ne voyait pas au-delà. Pour d’autres, l’amour signifie la passion.
Si je n’admire pas mon ami, ou encore si je n’ai pas d’élan passionnel vers lui, est-ce à dire que je ne l’aime pas ? La passion est un des modes de l’amour, très prisé dans notre société, mais on ne peut laisser de côté le don de soi, l’affection, les cadeaux, le temps passé ensemble… On peut aimer de mille façons.
J’ai reçu un couple hier : pour le mari, la présence de sa femme suffisait à son bonheur, tandis qu’elle aspirait à des moments privilégiés à deux. En fait, aimer c’est désirer avant tout le bien de l’autre, être bien en sa compagnie, et avoir envie de construire sa vie avec lui.
Ce sont les critères d’un bon choix ?
Est-ce que celui que j’aime m’aide à m’épanouir, à progresser ? Si l’on est content de soi, content d’être ensemble, détendu, si l’on peut rester soi-même en présence de l’autre, ce sont autant de bons signes. Il demeure que les fruits d’un bon discernement dans l’Esprit Saint sont la paix et la joie, comme nous dit l’Écriture. Il faut que cet amour rayonne !
Un dernier critère : le désir de partager, d’échanger, de créer une intimité. Dans une relation affective forte, émerge ce désir que l’autre se dévoile à soi peu à peu, sans peur du regard de l’autre.
Certains sont paralysés par une question : comment être sûr que c’est le bon ?
On n’est jamais sûr. Tout choix comporte une incertitude, dans ce domaine comme dans les autres. Ensuite, je refuse cette idée fausse, qui se colporte encore, selon laquelle un conjoint, préparé d’avance par le Seigneur, nous attend quelque part. Certains chrétiens ont une idée bizarre de la volonté de Dieu et de la Providence : s’ils sont passés à côté du bon numéro, pour une raison ou pour une autre, ils auraient raté leur chance !
Le bon numéro, c’est celui qu’on a choisi d’aimer. Et Dieu s’engage à nous accompagner dans notre choix.
Certains blocages viennent aussi sans doute de l’histoire familiale ?
On le voit chez les enfants de couples divorcés : ils ont peur de reproduire l’histoire de leurs parents et croient l’amour impossible. Heureusement, les traces, si elles sont douloureuses, ne sont pas indélébiles.
D’autres ont en tête un schéma stéréotypé. J’ai accompagné une jeune femme ; elle sortait avec un garçon qui n’était pas de son milieu et avec lequel elle se sentait bien : elle n’a pas été capable de faire le choix de l’épouser, car elle craignait la réaction de ses parents. Lorsque l’opinion de la famille reste une référence si importante, cet attachement peut être néfaste.
Certains garçons idéalisent leur mère et estiment qu’aucune femme ne la vaut, ou bien d’autres ont souffert de l’emprise maternelle et redoutent toute relation féminine.
Certains restent liés à leurs parents, rentrent à la maison trop souvent, se créent des devoirs à leur égard parce qu’ainsi ils trouvent une place : on a besoin d’eux ! En fait, même à 32-33 ans, ils ne sont pas encore devenus adultes.
Il faut être adulte pour savoir aimer ?
L’adulte est celui qui se connaît, avec ses défauts et ses qualités, et qui est capable de poser un choix qui ne soit pas fondé seulement sur des envies, des émotions ou l’approbation d’autrui. Pour pouvoir aller vers sa terre, chacun est appelé à tracer sa route, unique, avant d’entrer dans une relation. La solitude est nécessaire pour s’habiter soi-même et ne pas agir conformément ou en réaction au désir des autres. On peut se poser ces questions : quel est mon propre désir ? Suis-je dépendant du regard des autres pour vivre ?
L’amour est une occasion de mûrir, de devenir soi-même un monde à découvrir pour l’être aimé.
Qu’appelez-vous «aller vers sa terre» ?
Quand on dit : «L’homme quittera son père et sa mère», cela ne signifie pas seulement ne plus habiter sous le même toit, mais se tourner vers l’avenir. La dépendance vis-à-vis de la famille empêche de le faire.
Il faut couper ces liens qui maintiennent dans l’enfance, renoncer à ces parents idéaux que nous n’avons pas eus, et accepter sa famille telle qu’elle est, avec ses qualités et ses défauts, dans une juste distance.
Quel est le juste équilibre de la relation amoureuse ?
Il demande de ne pas se rechercher dans l’autre, de se décentrer de soi, de passer de l’amour de soi à l’amour de l’autre. Pour cela, il s’agit d’abord de découvrir qui l’on est. On ne va pas vers l’autre pour combler un manque. L’amoureux adulte est celui qui a réussi à trouver le juste équilibre, ni trop près, ni trop loin.
Dans un couple de jeunes fiancés rencontrés récemment, la jeune fille, très indépendante, se sentait étouffée par l’amour fusionnel de son fiancé : il réclamait trop sa présence. Nous avons réfléchi sur la juste distance, et, après une retraite, ils ont pu s’ajuster et sont maintenant d’heureux mariés.
Nous sommes tous habités par ce double mouvement : le désir d’autonomie et le désir de fusion, mais ils coexistent selon des intensités variables. Beaucoup de blocages viennent de ce mauvais positionnement.
Vous le remarquez souvent dans vos consultations ?
Certains attendent tout de l’autre et sont très demandeurs d’attentions. Ils sont affolés au moindre différend, déçus si leurs goûts divergent ou s’ils ne peuvent tout faire ensemble. D’autres, au contraire, ont peur de l’inconnu, peur d’être envahis, et fuient dans leur caverne.
Aucune des deux attitudes n’est juste. Il s’agit d’entrer dans une interdépendance où le désir d’aimer et d’être aimé est respecté, où chacun peut devenir lui-même sans être menaçant pour l’autre. Chacun sait qui il est, connaît ses besoins, n’en fait pas porter le poids à l’autre, qu’il accepte au-delà des déceptions et des différences. Pour qu’une relation soit juste, chacun doit pouvoir prendre des moments de solitude (c’est l’oxygène de la relation), pour revenir ensuite vers l’être aimé.
Attention, il ne s’agit pas ici de rechercher avant tout son épanouissement personnel, auquel cas la relation n’ira pas très loin.
Le féminisme n’est-il pas aujourd’hui un facteur inhibant pour les hommes comme pour les femmes ?
Il est parfois très difficile pour les célibataires de se situer en tant qu’homme et femme. Le féminisme a entraîné la confusion des rôles, au risque de ne plus savoir quelle est la place de chacun. On le voit dans certains couples où les parents ignorent ce qu’est être père ou mère. Les hommes finissent par se demander à quoi ils servent, devant la capacité féminine à s’adapter à toute situation, et les femmes ne trouvent plus que des hommes fragilisés par ce constat.
Voilà pourquoi il est capital de se connaître : la femme a besoin d’être sécurisée pour donner la vie, et l’homme d’être valorisé, encouragé, non par narcissisme, mais comme un moteur pour aller de l’avant. Les femmes ne réalisent pas qu’en se mettant sous la protection de l’homme, elles lui permettent d’aimer pleinement sans dominer ni asservir.
La question essentielle est celle-ci : comment prenez-vous votre place d’homme ou de femme à côté de la personne que vous recherchez ? Les différences entre les sexes ne sont pas toujours bien comprises : l’autre devrait réagir comme moi. Cette méconnaissance de la spécificité entraîne le refus d’être chacun dans sa fonction.
La sexualité mal vécue peut-elle être un handicap ?
Toutes les blessures liées à la sexualité, à des expériences passées négatives – pornographie, gestes déplacés, certains sites Internet –, sont une entrave pour une relation amoureuse, et rendent difficile l’exercice de la sexualité. Elle devient sale et dégradante : les hommes qui ont beaucoup pratiqué la pornographie sont inca-pables de construire une belle relation et pré-fèrent ne plus toucher une femme. Ils ont honte. Mais le fait d’en parler les libère.
Je suis frappée par le nombre de jeunes gens célibataires ligotés par ces dépendances à la pornographie, à la masturbation. Ces liens sont censés combler un vide. Un accompagnement spécifique est nécessaire pour prendre des moyens radicaux et chercher d’où vient cette dépendance. Et, bien sûr, pour les catholiques, le recours à la confession régulière : une sexualité déviée est blessante pour soi et pour l’autre, y consentir devient un péché.
Le sacrement de réconciliation donne la force de sortir de son habitude et la grâce pour renforcer ce désir de changer. Mais une fois ne suffit pas, il faut la demander régulièrement.
Parfois, les célibataires finissent par perdre confiance en eux. Comment les aider à retrouver un regard positif ?
C’est un travail difficile (voir encadré «Comment retrouver l’estime de soi»). Souvent, quand ils commencent une relation amoureuse, ils parviennent à reconquérir l’estime d’eux-mêmes. Mais parfois, ils se jugent indignes de cet amour et deviennent dépendants, dans une relation très fusionnelle.
Nous travaillons alors pour les aider à être eux-mêmes, leur apprendre à exprimer leurs désirs profonds, à ne pas avoir peur des conflits. Nous leur montrons qu’ils peuvent dire non, exister sans que l’autre cesse de les aimer.
Pour aller plus loin :
> Célibataire chrétien : la gestion de la solitude et de l'attente